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mers de ta part, plutôt que de me laisser si longtemps manquer de tes lettres ! Tu ne mérites pas que je t’écrive, ni que je t’aime, ni que je t’embrasse, ni que je te désire comme je fais. Adieu, adieu encore. Quand nous verrons-nous ?


Ce 11. — Je me trouve dans une espèce de calme qui ne durera pas longtemps, car je prévois que les bêtises de cette Compagnie me donneront plus d’affaires que je n’en ai jamais eu. C’est une horrible chose que cette pente naturelle de tout ce qui existe à tomber dans la confusion et c’est encore une raison qui me ferait croire aux deux substances, car je vois d’une part le désordre toujours prêt à s’établir dans la matière et l’esprit toujours occupé d’y rétablir un ordre quelconque selon ses lumières, ses intérêts et ses moyens. Mais enfin c’est un ordre, une disposition tant bonne que mauvaise, au lieu que toute espèce d’arrangement est contrariée par la tendance des choses vers le chaos. Il semblerait qu’elles n’en sont sorties que malgré elles et qu’elles le regrettent comme les sauvages regrettent leurs forêts. Il semble aussi que l’esprit de l’homme soit une parcelle, une émanation plus ou moins agissante de l’esprit créateur qui lutte sans cesse contre le vice de la matière. Voilà des idées bien creuses, jolie enfant, mais tu les aimes quelquefois ; ton esprit a trop d’esprit pour s’en tenir aux choses ordinaires, il étend ses grandes ailes couleur de rose au-delà de l’univers et il aime à voir ce qui se passe ailleurs. Si tu veux savoir ce qui se passe en Afrique, je te dirai que j’ai fait ce matin une grande promenade à cheval dans le continent qui m’a fait beaucoup de bien, et ce qui me donnait du courage, c’était de penser