Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sément dans la partie du doigt du milieu sur laquelle la plume appuie. Ce n’est pas un reproche que je te fais ni un mérite que je cherche auprès de toi, car il serait bien petit, et la privation de t’écrire serait pire que celle de mon doigt. Adieu.


Ce 24. — Je suis toujours tenté de chanter le ranz des vaches comme mes bons amis les Suisses, mais il n’est pas temps encore et je courrais risque de mourir de la maladie du pays avant de le revoir. C’est une singulière chose que ces deux forces, l’une centrifuge et l’autre sottement nommée centripète, qui agissent et qui réagissent perpétuellement sur l’homme. L’une le force à s’élancer hors de lui, de ses goûts, de ses plus chers intérêts, hors de ses foyers, de sa patrie et presque hors du monde par l’appât de je ne sais quelle jouissance et de je ne sais quel mérite aux yeux des autres. L’autre force le ramène bientôt après vers tout ce qu’il a quitté par des peintures plus distinctes et plus vraies du bonheur dont il manque, par mille images séduisantes de sa demeure, de ses premières habitudes, de sa famille, de ses amis, d’une femme qui l’aime, qui l’attend, qui lui tend les bras (quoiqu’elle ne lui écrive point). Explique-moi l’homme et surtout l’homme qui t’aime tant et je tâcherai de t’expliquer la femme, quand nous n’aurons rien de mieux à dire ni à faire.


Ce 25. — En arrivant dans ma petite colonie, je me faisais d’avance une consolation en pensant que je m’occuperais de mon jardin, que je jouirais de tout ce que le climat peut donner et de tout ce qu’il peut recevoir des climats plus tempérés. Rien de