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La Guyot, qui avoit esté appelée dans la troupe avec Guerin, qu’elle aimoit depuis cinq ans de la plus belle passion dont elle soit capable, menageoit la Moliere pour son interest et celuy de son amant, et luy donnoit souvent à manger, dans l’esperance de l’engager davantage. La Moliere, qui est d’un esprit fort extraordinaire, ne put souffrir une union qui luy sembloit parfaite ; elle resoleut, pour la troubler, de donner de l’amour à Guerin. Pour cet effet, elle ne manquoit pas d’y aller tous les jours avec empressement, ce qui chagrinoit Du Boulay, qui l’attendoit souvent inutilement ; mais elle croyoit son tems trop bien employé à faire une pareille conqueste, quoyque celuy pour qui elle prenoit tant de soins fust l’homme du monde qui le meritast le moins. Comme le merite ne peut rien contre le caprice et que nostre cœur est tousjours la duppe sur le choix, la Moliere, qui avoit assez d’usage pour avoir du discernement, ne laissa pas de trouver Guerin tout-à-fait comme il falloit pour luy plaire, et n’espargna rien pour l’enlever à la Guyot.

Guerin avoit aimé la Guyot de bonne foy ; mais, comme il n’est rien que le tems n’use, il commençoit à n’avoir plus pour elle qu’une espece de bonne amitié pleine de tiedeur, qui est tousjours la suitte des longues habitudes. C’est pourquoy il s’aperçeut aisement des senti-