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qu’on creut qu’il l’estoit effectivement, et on eut mille peines à le relever. On luy conseilla, pour lors, de ne point achever et de s’aller mettre au lit ; il ne laissa pas, pour cela, de vouloir finir, et, comme la piece estoit fort avancée, il creut pouvoir aller jusqu’au bout sans se faire beaucoup de tort. Mais le zele qu’il avoit pour le public eut une suitte bien cruelle pour luy ; car, dans le tems qu’il disoit de la rhubarbe et du séné, dans la Ceremonie des Medecins, il luy tomba du sang de la bouche ; ce qui ayant extresmement effrayé les spectateurs et ses camarades, on l’emporta chez luy fort promptement, où sa femme le suivit dans sa chambre. Elle contrefit du mieux qu’elle put la personne affligée ; mais tout ce qu’on employa ne servit de rien : il mourut en fort peu d’heures, après avoir perdeu tout son sang, qu’il jetoit avec abondance par la bouche, et laissa ainsy le Theatre exposé à l’audace de tant de misérables Autheurs dont il est maintenant la proye.

Tous les habiles gens eurent un regret sensible de sa mort ; ses camarades la sentirent vivement ; à l’esgard de sa femme, elle marqua autant de douleur qu’auroit pû faire une plus honneste personne en une semblable occasion ; et, comme les derniers devoirs sont tousjours ceux qu’une espouse rend avec plus de plaisir à son espoux, elle fit tous ses efforts pour s’en acquitter dignement. Elle conneut pourtant,