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credule. Mes bontez ne l’ont point changée. Je me suis donc déterminé à vivre avec elle, comme si elle n’estoit pas ma femme. Mais si vous sçaviez ce que je souffre, vous auriez pitié de moy ; ma passion est veneue à un tel point quelle va jusqu’à entrer avec compassion dans ses interests ; et, quand je considere combien il m’est impossible de vaincre ce que je sens pour elle, je me dis en mesme tems qu’elle a peut-estre la mesme difficulté à détruire le penchant qu’elle a d’estre coquette, et je me trouve plus de disposition à la plaindre qu’à la blasmer. Vous me direz sans doute qu’il faut estre poëte pour aimer de cette maniéree? Mais, pour moy, je crois qu’il n’y a qu’une sorte d’amour, et que les gens qui n’ont point senty de semblables délicatesses n’ont jamais aimé véritablement : toutes les choses du monde ont du rapport avec elle dans mon cœur ; mon idée en est si fort occupée que je ne sçay rien en son absence qui me puisse divertir ; quand je la vois, une émotion et des transports qu’on peut sentir, mais qu’on ne sçauroit exprimer, m’ostent l’usage de la reflexion ; je n’ay plus d’yeux pour ses deffauts, il m’en reste seulement pour tout ce qu’elle a d’aimable. N’est-ce pas le dernier point de folie ? et n’admirez-vous pas que tout ce que j’ay de raison ne serve qu’à me faire connoistre ma foiblesse, sans en pouvoir triompher ?