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rerent quelques années dans la mesme intelligence.

Cependant la petite Bejart commençoit à se former, ce qui donnoit la pensée à sa mere, qui avoit perdeu depuis longtems l’esperance de faire revenir Moliere à elle, de le rendre amoureux de sa fille. La chose estoit assez difficile, car la De Brie, qu’il aimoit desjà, estoit fort bien faite, et la petite Bejart n’avoit point encore, dans sa grande jeunesse, ces manieres qui, sans aucuns traits de beauté, l’ont depuis rendeüe si aimable au goust de bien des gens. Mais de quoy une femme jalouse ne vient-elle point à bout, lorsqu’il s’agit de détruire une rivale ?

Elle remarquoit avec plaisir que Moliere aimoit fort la jeunesse ; qu’il avoit, de plus, une inclination particulière pour sa fille, comme l’ayant elevée ; que sa fille aimoit Moliere comme s’il eust esté son pere, parce qu’elle n’en avoit pas conneu d’autre. La Bejart, qui l’entretenoit dans un esprit de mignarderie et d’enfance, comme la seule chose qui pouvoit la faire reüssir à son dessein, ne manquoit pas d’exagerer à Moliere la satisfaction qu’il y a d’elever pour soy un enfant dont on est seur de posséder le cœur, dont l’humeur nous est conneüe, et que ce n’est que dans cet âge d’innocence où l’on pouvoit rencontrer une sincérité qui ne se trouve que rarement dans la pluspart