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trouvé une prohibition préciſe de demander des Privileges pour l’impreſſion des Livres qui appartiennent à leurs Confreres ; & en méditans ſérieuſement ſur cette ſage diſpoſition, ils auroient découvert qu’elle est fondée ſur deux motifs également juſtes & néceſſaires pour ſoûtenir la Librairie ; l’un de conſerver à chacun la proprieté des Ouvrages qu’ils acquierent, & entretenir entr’eux une juſte émulation pour les groſſes entrepriſes ; l’autre d’empêcher que par envie de profeſſion ils n’entrepriſſent les uns ſur les autres, & ne ſe ruinaſſent mutuellement.

Alors par un juſte retour ſur eux-mêmes, ils auroient ſenti, non ſeulement l’injuſtice & le ridicule de leur prétention, mais encore combien elle eſt oppoſée à leurs veritables interêts, puiſqu’elle ne peut réuſſir ſans les expoſer dans la ſuite à être dépouillez à leur tour par leurs Confreres des Ouvrages qu’ils pourroient acquerir ; nous ſommes perſuadez que cette ſeule conſideration les auroit déterminez à ſe renfermer dans l’eſprit de la Loy qui nous eſt commune avec eux, qu’ils l’auroient reſpectée & ſuivie, au lieu de vouloir la détruire pour faire renaître les deſordres que la ſageſſe des Statuts a voulu éviter.

Mais comme ils ont négligé de le faire, nous avons crû la devoir rappeller, pour leur faire voir qu’en ſe renfermant uniquement dans l’eſprit & dans les regles de leur Commerce, il ne peut être avantageux au Public, que les Textes des Livres deviennent communs, comme ils le prétendent, non ſeulement parce que la Loy des Statuts y eſt formellement contraire, mais encore parce que l’on ne peut y donner la plus legere atteinte ſans faire renaître les inconvéniens que les Statuts ont voulu éviter : ces inconvéniens ſe réduiſent à deux principaux qui renferment tous les autres.

Le premier qui ſe préſente à l’eſprit, eſt qu’en rendant les Textes des Livres communs entre les Libraires, après l’expiration des Privileges, on les ruine totalement en les livrant mutuellement à l’envie & à la jalouſie, que ne regne que trop entre les perſonnes d’une même profeſſion, ce qui détruit la ſûreté de leur Commerce.

Le ſecond, c’eſt qu’en rendant les Textes communs, les Libraires ne voudront plus acheter de Manuſcrits ; ainſi il ne ſe fera plus de nouvelles entrepriſes ; par conſéquent les Auteurs ne trouvant plus dans leurs travaux les ſecours qu’ils en avoient attendu, ſe décourageront, & ceſſeront de travailler.

Pour être convaincu que les Textes des Livres ne peuvent devenir communs, ſans ruiner abſolument les Libraires, il ne faut qu’une legere attention ſur la nature de leur Commerce.

Tout le monde ſçait que le Commerce d’un Libraire ne roule que ſur la proprieté d’un certain nombre de Textes de Livres de differentes natures, qu’il acquiert à prix d’argent, dont la multitude des exemplaires forme un magaſin qui compoſe ſon fond, & dont la vente en détail le fait ſubſiſter avec ſa famille, lui procure de nouveaux fonds d’argent, & le met en état d’acquérir de nouveaux Ouvrages, & de faire réimprimer ceux qu’il a déjà, lorſque les exemplaires viennent à manquer ; on ſçait encore, qu’aux termes des Statuts que nous avons rapportez, il n’eſt permis à aucun Libraire d’imprimer les Livres qui appartiennent