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& qui, comme eux trouvent les mêmes prétextes, c’eſt-à-dire, des gens qui poſſedent des biens dont ils ayent joui vingt ou trente années ; prétendront être en droit de les partager avec eux, à cauſe de la longue jouiſſance qu’ils en auront eue, & de demander d’en être mis en poſſeſſion, pour en jouir auſſi à leur tour ; c’eſt ce qui ne ſera aſſurément pas difficile à trouver.

Alors la fortune des meilleurs ſujets deviendra la proye de ceux qu’une indolence criminelle aura fait tomber dans l’indigence, ou de ces hommes ſenſuels qui n’ont fait d’autre uſage de leur patrimoine que pour ſe livrer à la débauche, dans laquelle ils ont vû diſparoître leur fortune avec la même rapidité que leurs plaiſirs ; & dès là les fondements de la Société ſeront renverſez, les Loix mépriſées & abolies ; il ne ſera plus néceſſaire d’être ſobre, économie et laborieux, pour ménager à ſa famille un établiſſement avantageux et honorable, puiſque les poſſeſſions ne pouvant en ce cas être que momentanées, elles ne pourront paſſer à nos deſcendans. Ainſi au lieu de l’émulation & du bon ordre qui regnent parmi nous, on ne verra plus que confuſion & que tentative pour s’approprier le bien d’autrui.

Tels ſont les effets que produiroit le nouveau ſyſtême de nos Adverſaires par rapport à la Societé en general. Examinons préſentement, abſtraction faite des maximes que nous avons établies, en nous renfermant ſimplement dans l’eſprit de leur Commerce & des Loix qui en contiennent les regles, quelles ſeroient encore les ſuites des nouvelles idées qu’ils ont ſi heureuſement imaginées par rapport à la Librairie ; & ſi, comme ils le prétendent, il ſeroit avantageux au Public que les Textes des Livres devinſſent communs après l’expiration des Privileges : ou plutôt, faiſons voir qu’ils n’ont appellé à leur ſecours l’utilité publique que pour voiler les mouvemens d’une criminelle cupidité ; & que bien loin que le Public ſoit intereſſé à voir paſſer dans leurs mains les Textes des Livres qui compoſent la fortune des Libraires de Paris, il importe au contraire infiniment à ce même Public, & à la République des Lettres, qu’ils ſoient non ſeulement conſervez dans la jouiſſance perpétuelle de leurs Privileges, mais encore qu’ils ſoient ſingulierement protegez comme les ſoûtiens de ce Commerce honorable et utile à la Nation.

La raiſon & l’expérience nous découvrent également qu’il eſt néceſſaire, que dans toutes les differentes Communautez qui ſe trouvent dans un État, il y ait une barriere contre laquelle viennent ſe briſer les entrepriſes que les membres de chacune peuvent faire les uns ſur les autres, pour les empêcher de ſe détruire mutuellement ; c’eſt pourquoi nos Rois ont donné à chacune des Statuts, revêtus d’une autorité capable de les contenir les uns envers les autres, & qui leur doivent ſervir de regles. Les Libraires en ont, qui contiennent les Loix de leur Commerce, & la maniere dont chacun doit s’y conduire ; & ces regles, qui ſont les mêmes dans tout le Royaume, les doivent aſſujettir tous également.

Nos Adverſaires n’ont apparemment jamais fait d’attention à la diſpoſition de leurs Statuts ; car s’ils les avoient examinez, ils y auroient

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