jamais trouvé perſonne aſſez viſionnaire pour recourir à l’autorité du Prince, afin de ſe faire mettre en poſſeſſion de la maiſon d’un autre, ſous prétexte de la longue poſſeſſion de celui qui en jouit, et de celle de ſes auteurs ; neanmoins les Libraires de Province oſent aujourd’hui, ſous le prétexte d’une jouiſſance de quelques années, venir demander les Privileges des Livres dont leurs Confreres de Paris ont acquis la proprieté à prix d’argent, pour l’impreſſion deſquels ils ont fait des dépenſes conſiderables, & couru les riſques de l’évenement, & qui enfin compoſent le plus réel & le meilleur de leur bien. En verité la raiſon & l’humanité ſe révoltent, à la vûe d’une entrepriſe ſi oppoſée aux bonnes mœurs.
Après avoir démontré que la prétention des Libraires de Province réſiſte également à l’équité naturelle, à la raiſon & aux uſages du Royaume, il ne nous reſte pour remplir le deſſein que nous nous ſommes propoſez, qu’à faire voir, que ſi elle eſt odieuſe en elle-même, elle eſt auſſi infiniment dangereuſe par ſes ſuites, qui tendent directement à renverſer l’ordre public, & à ruiner les Lettres qui font l’ornement de l’État ; c’eſt ce qui ſe va découvrir par les conſequences qui naiſſent naturellement des principes que nous avons poſez.
Comme le ſoûtien & l’harmonie d’un État conſiſte principalement à faire jouir paiſiblement les membres qui le compoſent de ce qui leur appartient, & à le leur faire reſtituer ſi quelqu’un avoit oſé s’en emparer ; on peut dire au contraire que la confuſion & le deſordre qui en cauſent la ruine, ſont toujours les malheureux fruits de l’inexecution de ce principe.
Suivant ces maximes fondées ſur les Loix divines & humaines, qui concourent également à conſerver à chacun ce qu’il poſſede legitimement, il eſt aiſé de faire voir que la prétention de nos Adverſaires non ſeulement n’a pas pour objet le Bien Public, qui ne ſe trouve jamais où manque l’équité, mais au contraire qu’elle ruine les fondemens les plus ſolides de la Societé & du Commerce ; & que s’ils pouvoient parvenir à la faire autoriſer, il n’y auroit rien d’aſſuré parmi nous.
On a prouvé que l’acquiſition d’un Manuſcrit eſt en la perſonne de celui qui l’achete une veritable poſſeſſion, de la même nature que celles qui compoſent la fortune de tous les membres de l’État ; comment ſera-t-il donc poſſible, ſans bleſſer la juſtice, de ſe diſpenſer d’appliquer à ces ſortes de poſſeſſions les Loix ſous l’autorité deſquelles tous les autres Sujets du Roy jouiſſent paiſiblement de celles qu’ils ſe ſont acquiſes ? Comment renverſer ces mêmes Lois au préjudice des uns, & les laiſſer ſubſiſter à l’égard des autres, puiſqu’elles doivent être generales & communes à tous ?
Il faut donc néceſſairement, ou les détruire entierement, ou les laiſſer ſubſiſter en faveur de tous les membres de l’État, ſans diſtinction. Or ſi on dépouille les Libraires de Pairs de la proprieté des Ouvrages qu’ils ont acquis pour les donner à ceux de Province, ſous prétexte de la jouiſſance des uns, & de la néceſſité qu’il y a que les autres ſubſiſtent aussi, comme membres de l’État, il faudra conſequemment en uſer de même en faveur de ceux qui ſe mettront dans le même cas de nos Adverſaires.