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les Ouvrages des Auteurs, ne peut les tranſmettre à perſonne ſans le conſentement de ceux qui s’en trouvent les légitimes propriétaires.

Selon ces principes, & en ſe renfermant même dans l’eſprit des Édits & Déclarations dont nous venons de parler, il ne doit y avoir aucun doute, que les Privileges que les Auteurs ou les Libraires ſont préſentement obligez d’obtenir pour l’impreſſon des Ouvrages Littéraires, ne peuvent être conſidérez que comme des approbations autentiques, pour mettre d’un côté le Libraire en ſureté & hors d’état d’être inquiété, ſuppoſé qu’il ſe trouvât par la ſuite dans un Ouvrage quelque choſe de contraire aux idées du Gouvernement ; & de l’autre pour aſſurer le Public qu’il peut s’en charger ſans crainte, comme ne contenant rien de contraire à la Religion, aux droits du Roy, ni à ceux des Particuliers.

Voilà certainement l’idée exacte d’un Privilege, ſelon laquelle on peut avancer avec confiance, que le Souverain lui-même, en conſéquence de ſes propres Loix, ſe trouve dans une heureuſe impuiſſance d’ôter les Privileges qu’il a accordez à un Libraire proprietaire d’un Manuſcrit, pour en gratifier un autre qui n’y a aucun droit ; parce que ces ſortes de Privileges ne ſont pas ſeulement des marques de ſa bonté & de la Protection dont il honore les Sçavans & les Libraires, mais une juſtice qu’il leur rend pour les animer au travail pour la gloire de ſon Royaume, & l’utilité de ſon Peuple.

Ces regles nous paroiſſent d’autant plus inviolables, qu’elles ſont fondées ſur la juſtice & ſur la raiſon, & confirmées par l’uſage de tous les ſiécles qui ſe ſont écoulez depuis l’invention de l’Imprimerie juſqu’à préſent.


Seconde Propoſition.

Les Manuſcrits que les Libraires achettent des Auteurs, auſſi-bien que les Textes des Livres qu’ils acquierent en s’établiſſant dans ce genre de Commerce, ſont en leurs perſonnes de véritables poſſeſſions, de la même nature de celles qui tombent dans le commerce de la Société civile ; & par conſequent on doit leur appliquer les Lois qui aſſurent l’état de toutes celles qui ſe font entre les hommes, ſoit terres, maiſons, meubles, ou autres choſes de quelque eſpece que ce puiſſe être.

Pour prouver cette ſeconfe propoſition, il ne faut que joindre aux principes qui ont été établis au commencement de ce Mémoire, quelques réflexions particulieres aux productions des Hommes de Lettres, qui étant appliquées aux Libraires, ne laiſſeront aucun doute ſur la certitude de ce que l’on vient d’expoſer, ſurtout par rapport à l’état où ſont les choſes aujourd’huy à l’égard de cette ſorte de Commerce, dans lequel la fortune de ceux qui s’y attachent n’eſt autre choſe que la propriété de certains Ouvrages qu’ils achettent, pour en compoſer leurs fonds.

Nous avons déjà fait voir, en établiſſant la première propoſition concernant les Privileges que le Roy accorde pour l’impreſſion des Livres, que les Ouvrages des Auteurs, ſont à leur égard un bien dont il n’eſt pas permis de les dépouiller. Examinons préſentement ſi ces

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