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lement parce que cette premiere obſervation ſera comme la baſe & le fondement des moyens que l’on établira dans la ſuite, mais encore parce qu’elle ſuffiroit preſque ſeule pour faire ſentir combien la conduite de ces Libraires eſt odieuſe, d’oſer venir demander au Protecteur de la Juſtice, de les revêtir, contre toute équité, des dépouilles de leurs Freres, au mépris de tout ce que les hommes doivent avoir de plus ſacré ; & pour cela qu’on détruiſe en leur faveur les principes les plus importans de la Société.

En effet, perſonne n’ignore que les hommes deſtinez par la Nature à la Société, & par conſequent au travail qui en eſt le lien, en forment néceſſairement une dans chaque état, au profit de laquelle ils appliquent mutuellement leurs talens pour l’utilité commune, dans laquelle ils ont droit de vivre de leur travail, & de tirer de leur induſtrie un profit legitime, qu’ils puiſſent poſſeder ſûrement & tranquilement, afin de ſe procurer, & à leurs familles, les commoditez de la vie ; & pour cet effet il faut conſtamment qu’ils ſoient conſervez dans la propriété permanente & incommutable des choſes qu’ils ſe communiquent les uns aux autres par la voye de la vente, de l’échange, ou autrement, ſans quoi leur travail leur deviendroit inutile, & ils tomberoient néceſſairement dans une pernicieuſe oiſiveté, ſi on donnoit à cet égard la moindre atteinte à leur liberté.

C’eſt auſſi pour remédier à ces inconveniens, & animer les hommes au travail, que la raiſon a dicté aux plus ſages d’entr’eux les Loix qui ſervent encore parmi nous de regles à notre Commerce, & à aſſurer nos conventions.

Suivant ces principes, qui n’ont beſoin d’autres preuves que leur expoſition, & dont toutes les Nations ont ſenti l’équité & la néceſſité, on ne peut douter que le fruit de l’induſtrie des hommes par rapport à l’état où ſe trouve la Société, ne faſſe la partie la plus conſidérable de leur bien, & ſurtout par rapport aux Négocians ; & par conſequent qu’il ne peut être permis aux Citoyens, ni aux Étrangers, de les leur enlever de quelque manière que ce ſoit, ſans s’attirer la juſte punition que les Loix infligent à ceux qui troublent l’ordre public.


Premiere Proposition.

Il eſt certain, ſelon les principes que l’on vient d’établir, que ce ne ſont point les Privilèges que le Roy accorde aux Libraires qui les rendent propriétaires des Ouvrages qu’ils impriment, mais uniquement l’acquiſition du Manuſcrit, dont l’Auteur leur tranſmet la propriété, au moyen du prix qu’il en reçoit ; la vérité de cette propoſition ſe démontre par deux obſervations auſſi ſimples que naturelles.

La premiere, qu’un Manuſcrit, qui ne contient rien de contraire à la Religion, aux Loix de l’État, ou à l’intérêt des Particuliers, eſt en la perſonne de l’Auteur un bien qui lui eſt tellement propre, qu’il n’eſt pas plus permis de l’en dépouiller que de ſon argent, de ſes meubles, ou même d’une terre ; parce que, comme nous l’avons obſervé, c’eſt le fruit d’un travail qui lui eſt perſonnel, dont il doit avoir la liberté