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à la prétention de nos Adverſaires, elle n’a plus d’autre appui que leur propre interêt, auquel ils veulent ſacrifier non ſeulemnet leurs Confreres, mais encore les Sciences qui tomberoient infailliblement.

Ces Libraires nous oppoſeront peut-être, que pour ne nous point donner ſujet de nous plaindre, ils ſe contenteront des petits Livres courans, dont nous jouiſſons depuis long-temps, & qui par conſequent doivent nous avoir produit, & au-delà, le rembourſement des Manuſcrits & les frais de l’impreſſion ; & ainſi que leur peut les gratifier de ces ſortes de Privileges, ſans nous faire aucun prejudice, ni déranger notre Commerce, dont le véritable objet n’eſt uniquement que les grands Ouvrages auſquels nous nous ſommes toûjours attachez ; & ainſi que la Librairie de Paris ne ſe ſoûtiendra pas moins quand elle partagera avec eux ces ſortes de petits Livres.

La réponſe à cette objection, toute ſpécieuſe qu’elle paroiſſe, eſt très-ſimple ; il ne faut pour la détruire que ſe rappeller les principes que nous avons établis au commencement de ce Mémoire, ſuivant leſquels on ne peut douter que ces Ouvrages, dont on vient de parler, ne ſoient des portions du bien des Libraires de Paris, qu’il n’eſt pas plus permis de leur enlever, qu’un arpent de terre à un homme qui en auroit deux cens autres, parce que l’une & l’autre de ces poſſeſſions ſont de la même nature.

Mais à cette premiere obſervation il en faut joindre une ſeconde, pour forcer nos Adverſaires à abandonner ce dernier retranchement ; & pour cela il ne faut que faire attention que ce ſont ces petits Ouvrages, qui par leur produit journalier font vivre les Libraires de Paris, & les mettent en état de faire la dépenſe courante de l’impreſſion des grands Livres, & que ſans ce ſecours ils ne pourroient faire les groſſes entrepriſes, parce qu’il ſe vend deux cens exemplaires de ces petits Livres, dont le prix eſt très-modique, contre deux exemplaires de ceux dont le prix eſt conſidérable, qui d’ailleurs ne ſont utiles qu’à un petit nombre de perſonnes ; au lieu que les autres conviennent, & ſont à la portée de tout le monde. Ainſi on ne peut priver les Libraires de Paris de ces petits Ouvrages, ſans les mettre hors d’état de ſe ſoûtenir, joint à ce que ſi on donne la moindre atteinte à leurs Statuts, & à la propriété des Textes, de quelque nature qu’ils puiſſent être, on détruit la ſûreté de leur Commerce, & on le fait abſolument tomber, & en même tems la Librairie & les Sciences, comme on va achever de le prouver en finiſſant.

La Librairie a une liaiſon si étroite avec les Lettres, qu’il eſt impoſſible de la détruire, ſans les faire tomber en même tems. Une legere attention ſur les motifs qui engagent les Sçavans à travailler, & ſur l’uſage qu’un Libraire peut faire de leurs Ouvrages, ſuffit pour prouver la vérité de ce que nous venons d’avancer.

Il faudroit ignorer totalement le caractere des hommes, & ne pas connoître la multitude de leurs beſoins, pour ſe perſuader, que l’eſpoir d’un profit légitime ne faſſe pas partie des motifs qui les engagent aux differens travaux auſquels ils appliquent leurs talens.

Les Sçavans n’en étant pas plus exemts que les autres, agiſſent auſſi