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y eût deux ordres de faits irréductibles l’un à l’autre et que, bien différente du système de lois qui étreint le monde physique, l’obligation morale pût s’imposer à nous sans nous contraindre. Je voulais remonter jusqu’aux origines. La superstition de la matière m’avait conduit à nier tout ce qui n’était pas purement mécanique ; et maintenant, pour admettre la réalité de la justice, je croyais nécessaire de lui attribuer une cause indépendante et placée hors du monde. Il me fallait recourir à une invérifiable hypothèse pour donner du poids à des faits que ma conscience me révélait directement. C’est pourquoi la pensée de Dieu me revint ; et je restai longtemps indécis, ne sachant pas si je devais l’accueillir, ou renoncer à des idées morales très péniblement acquises.

À ce moment la musique m’ouvrait un monde nouveau. Elle me plongeait dans de profondes rêveries ; et, sans qu’il me fût possible de l’accuser de mensonge, elle me parlait d’une existence idéale, affranchie des conditions mesquines de cette vie, et où rien ne limitait la puissance de notre âme. Mais je ne compris bien la beauté musicale que lorsque j’entendis les œuvres de Bach et de Haendel. J’y trouvai l’inspiration revêtue de formes si précises qu’elles m’empêchèrent de me perdre en flottantes rêveries.