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compte dans mon appréciation des œuvres d’art et de m’abandonner à tout ce qui serait capable de m’émouvoir. Mais comment se passionner pour des transcriptions, si admirables qu’elles soient, de choses où l’on ne trouve pas un intérêt vital ? Je me rendis compte que, si je voulais augmenter les plaisirs de mon esprit, rien, pas même la vertu, ne devait m’être indifférent.

Il aurait fastidieux de noter les progrès que ma pensée fit presque insensiblement. Mais je dirai, pour rendre hommage à un grand esprit et à un homme de bien, que Proudhon fut mon guide dans ma lente ascension vers l’idée de la justice. Lorsque je lus ses œuvres, il resta bien entendu que je faisais de l’intérêt personnel le mobile de tous nos actes et que j’abordais l’étude des questions sociales par une simple curiosité de l’esprit ; mais la bonne foi de mon maître me pénétra entièrement et je me transformai auprès de cette âme saine et robuste. Pourtant je ne parvins pas alors à l’équilibre que je crois avoir trouvé depuis. Je sentais mes idées encore flottantes, et j’avais un goût trop vif de la métaphysique pour accepter cette modeste croyance au devoir qui est devenue ma foi. Je pensais que, si tout n’obéit pas à la même nécessité, l’âme humaine est hors de la nature. Je ne pouvais admettre qu’il