Page:Bouchor - Les Symboles, première série.djvu/271

Cette page n’a pas encore été corrigée

Celui qui put ravir le souffle à mon enfant,
Le sombre Feu, Loki, le malfaiteur savant
Qui, pour les façonner, se glisse au cœur des êtres,
Le prince de la fraude et l’exemple des traîtres,
Nous raille impudemment dans son supplice… Il rit,
Car il prévoit ma chute, et contemple en esprit
Un terrible avenir que rien ne me dévoile.
Ah ! puissé-je broyer ses os jusqu’à la moelle !
Les dieux vieillissent ; moi, j’ai perdu le sommeil.
Quoi ! verra-t-on crouler le ciel ? l’ardent soleil
Jettera-t-il au loin le bouclier de glace
Qui nous a jusqu’ici préservés de sa face ?
La lune, au battement de nos cœurs anxieux,
Va-t-elle donc rouler, morte, à travers les cieux ?
Pleuvra-t-il des torrents d’étoiles ? et le Frêne
Qui s’est épanoui dans sa beauté sereine
Des profondeurs de Hel aux sièges d’or des dieux,
Lui dont j’écoute, par les soirs mélodieux,
Palpiter les rameaux pleins de vie et sans nombre,
Yggdrasil, qui m’accable aujourd’hui de son ombre,
Vaste, immémorial, paisible entre les forts,
Doit-il, déraciné de la terre des morts,
Pourrir en peu de temps comme un cadavre ? Certes,
Un peuple d’étalons broute ses feuilles vertes ;
Les cerfs qui, grâce à lui, se sont multipliés
Dévorent les bourgeons qu’il jette par milliers ;