Page:Bouchor - Les Symboles, première série.djvu/27

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chaîne en vertu d’une nécessité inexorable. D’ailleurs nous n’avions que faire de ce libre arbitre qui permet de lutter contre soi-même ; car nous mettions notre point d’honneur à méconnaître tout ce qu’il y a de noble dans l’homme.

Avant de poursuivre cette analyse, il faut que je m’excuse de parler désormais en mon propre nom. Il est choquant de se mettre ainsi en évidence ; mais je ne puis expliquer la genèse de ce livre que par l’aveu de toutes mes fluctuations. J’ai dit quelle était ma philosophie ; je m’aperçus enfin qu’elle ne me suffisait pas. Elle me fermait l’intelligence de beaucoup de choses. Pour n’en citer qu’un exemple, l’œuvre de Dante resta lettre close pour moi tant que mes idées furent les mêmes. Tout ce qui relevait de la morale, tout ce qui touchait à la foi religieuse m’était suspect ; et même, dans les œuvres de passion toute pure, je ne me livrais pas entièrement à mon émotion parce que, toujours imbu de cette idée qu’il ne faut pas être dupe, je voulais expliquer par les calculs de l’intérêt les plus irrésistibles mouvements d’une âme généreuse, les héroïques délicatesses de l’amour, les sacrifices accomplis au nom du devoir. Ayant compris que la doctrine où je voyais la vérité était faite pour m’abaisser l’esprit et me rétrécir le cœur, je résolus de n’en pas tenir