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aussi que nous fussions traversés par le souffle religieux qui purifie tout le poème.

Pourtant le naturalisme lucrétien ne nous donnait pas de grandes lumières, lorsqu’il fallait juger la vie humaine et nous faire une règle de conduite. Notre haine de l’idéal n’était pas assez forte pour triompher de nos instincts ; et nous admirions sans un profiter les passages où le poète, tout en laissant deviner ce qu’il y eut de cruelle passion en lui, prêche une médiocre sagesse bien peu faite pour une âme comme la sienne. Mais quant à la morale, nous en avions écarté le souci avec un dédain qui m’étonne encore. Lorsqu’on prétend remonter à l’origine des choses, on est enclin à n’attribuer de valeur qu’au principe d’où l’on fait dériver tout le reste. Le matérialisme, qui ne voit dans la vie et dans la pensée qu’une complication des phénomènes mécaniques, habitue à croire que, plus les choses sont élémentaires, plus elles contiennent de vérité, tout ce qui est complexe étant une sorte d’illusion ; et que, si l’on ne veut pas être dupe, il faut ramener à quelque chose de bas tout ce qui paraît supérieur. Lucrèce, par une belle contradiction, admet la liberté humaine, si toutefois les anciens eurent une idée précise de ce que les modernes entendent par là. Mais, plus logiques, nous étions convaincus que tout s’en-