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nous la figurer semblable aux choses, telles que les façonnent à notre usage les formes de notre esprit et l’appareil de nos sens. Nos spéculations ressemblaient à celles des plus anciens philosophes de la Grèce, mais sans avoir le mérite d’être originales ; et elles manquaient d’à-propos en plein dix-neuvième siècle.

Une chose ennoblissait notre matérialisme : c’était un profond amour de la nature. Il est vrai que nous rêvions aux origines du monde plus encore que nous n’admirions ses merveilles visibles. L’éternité de la matière nous enivrait ; et nous l’opposions avec défi à la création dans le temps, accomplie par un Dieu quasi humain dont la conception nous semblait puérile. Au fond, quoiqu’il nous déplût de l’avouer, un secret panthéisme se mêlait à nos doctrines, qui excitaient en nous un enthousiasme ardent. Nous aimions profondément la vie, et nous ne pensions pas qu’elle pût s’éteindre dans le monde. Bien que notre ivresse de la nature eût peut-être quelque chose de factice, elle est pourtant ce que nous avons eu de meilleur dans cette période où le sens moral s’était obscurci. en nous ; car elle nous préservait du pessimisme abject où tant d’autres ont croupi. Le livre de Lucrèce était notre Bible ; et, si la théorie atomistique faisait l’objet de nos stériles commentaires, il fallait bien