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L’air embaume ; la terre est blanche de narcisses…
Aimons-nous, Théano. J’ai peur que tu ne glisses ;
Ne tremble point : mes bras t’enlacent doucement.
Aphrodite a pour nous un sourire clément.
Les parfums de la nuit me pénètrent de joie ;
Et, tandis que la mer paisible nous envoie
Sa lointaine musique et son grand souffle amer,
Les pins harmonieux chantent comme la mer.

Que de cette heure unique et sainte il te souvienne !
Entends-moi, Théano : devant les dieux, sois mienne.
Un cœur inviolable aime ton chaste cœur.
Accablé d’une étrange et divine langueur,
J’ai souvent écouté, dans la molle Lydie,
Les flûtes modulant leur lente mélodie ;
Puis les dieux ont peuplé de songes mon sommeil ;
Homère m’a nourri de chants pleins de soleil ;
Même j’ai médité la parole dés sages :
Mais il n’est rien de beau comme les beaux visages.
Le tien, seul entre tous, est le visage aimé ;
Et, bien qu’en cette chair ténébreuse enfermé,
Je me souviens par toi des beautés éternelles ;
Car dans tes sombres yeux, dans l’or de tes prunelles,
O virginale amie au sourire voilé,
Brille le monde heureux d’où je fus exilé…