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J’en veux au vaste monde, à ces légions d’êtres
Qui rampent sur le sol en bénissant leurs maîtres.
Les dieux triomphent ? soit ! je cracherai sur eux.
Je te hais pour ta grâce et tes rires heureux.
Et je maudis encor la terre de Chaldée,
Joyeuse, ivre d’amour, de soleil inondée,
Où retentit sans on la louange d’Istar…
Mais je n’entendrai plus jamais rouler ton char,
Parmi la foule, au son des cymbales froissées.
Meure la vie avec nos stériles pensées !
Puisse-t-il revenir, le temps mystérieux
Où la mer n’avait pas encor vomi les cieux :
Où la force divine, éparse dans les choses,
N’avait point accompli tant de métamorphoses ;
Où l’immense matière attendait que l’Esprit
Soufflât sur son visage obscur et la pétrît ;
Où le limon, privé de fécondes caresses,
N’était pas devenu notre chair de déesses…
Ah ! c’était le repos bienheureux dans la nuit,
Les êtres confondus, ni lumière ni bruit,
Lorsque rien ne troublait l’abîme aux vagues lentes,
Avant même, ô ma sœur, que les premières plantes,
Les joncs, les tamaris, les forêts de roseaux,
Les vastes nénuphars eussent fleuri les eaux !