Page:Bouchor - Les Symboles, première série.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poésie. Le malheur est moindre, sans doute, que les poètes ne se l’imaginent. Si même il est aussi grand que nous voudrions le croire, ce n’est pas une raison pour tenter une défense de la poésie ; car tous les arguments du monde ne sauraient donner une autre âme à ceux que nos fictions n’émeuvent pas. Mais qu’on nous laisse au moins nous justifier de ce reproche, adressé tant de fois aux poètes, de n’avoir que de l’indifférence pour le monde où nous vivons.

De magnifiques exemples prouvent que les sujets contemporains ne répugnent pas à la poésie. Je citerai Jocelyn, l’œuvre, à mon avis, la plus inspirée de ce siècle où l’inspiration fut si abondante. Mais interdire à la poésie de franchir les limites de notre âge, ce serait étaler un bien excessif amour de nous-mêmes et un dédain par trop ridicule de ceux qui vinrent avant nous. Rien n’est plus vivant que l’histoire des hommes, surtout lorsqu’un poète s’en empare, et, avec des éléments qu’il combine ou transforme comme il lui plaît, compose de merveilleux types où l’humanité pourra se reconnaître ; ce qui faisait dire au sage Aristote que la poésie est plus vraie que l’histoire. Lorsqu’un écrivain crée une de ces œuvres souveraines, ne craignez pas qu’il cesse d’appartenir à son temps. Son génie, si