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écrivain illustre — trop ondoyant et trop sagace pour ne s’être pas contredit à ce sujet — soit une partie de l’esthétique[1]. Ceux qui s’abstiennent du mal uniquement pour éviter certains actes laids ou malpropres, ceux-là, j’en ai la ferme conviction, ignorent la vie morale en ce qu’elle a d’essentiel ; car le beau est une chose et le bien en est une autre, malgré les rapports variés et délicats qu’ils peuvent avoir entre eux et le précieux secours qu’ils se prêtent parfois l’un à l’autre. Je crois que ni la plus haute esthétique ni le sentiment le plus exquis du beau n’éveilleront jamais en qui que ce soit la claire notion du devoir. Je n’en suis pas moins persuadé que la réalisation du beau entre dans le plan divin de l’univers ; je pense qu’il serait abominable, si cela était possible, de tarir dans l’âme humaine le sens de la beauté. Mais c’est d’une tout autre source, plus vive et plus profonde, que jaillissent en nous la foi dans le bien et le ferme vouloir de l’accomplir.

Je ne prétends pas faire ici de la métaphysique. Je constate seulement que certaines œuvres d’art très belles n’ont pas de caractère moral, et que des personnes d’une haute moralité ont un sens esthétique médiocre. Si la chose était contestée, il resterait que la beauté d’une œuvre d’art n’est pas toujours en proportion de ce qu’il y a de moralité en elle, et que le sens moral des personnes ne varie pas exactement selon la finesse de leur sens esthétique. Il s’en faut même

  1. Je ne crois pas davantage que l’esthétique soit une partie de la morale. La tendance à confondre les deux choses me paraît de nature à fausser la notion de l’une et de l’autre.