Page:Bouchor - Les Poëmes de l’amour et de la mer, 1876.djvu/16

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Mystérieux pour nous jusques au dernier jour,
L’avenir où dormait l’oubli de tant d’amour,
Ne troublait pas le charme infini de nos rêves.
Et cependant la mer déroulait sur les grèves
Ses flots calmes, pareils à des moires ; et nous,
En face de sa gloire émus, presque à genoux,
Écoutant son murmure et muets devant elle,
Nous prenions à témoin la Nature immortelle
De l’immortel amour qui nous avait unis.

Mais la mer a vaincu l’amour. Soyez bénis,
Ô temps à tout jamais passés de notre joie !
Sous un ardent soleil de pourpre qui flamboie,
En silence le long des flots retentissants
Je m’en vais comme une âme errante, et je me sens
Plus désolé, plus seul, et plus inconsolable
Que les vagues venant sangloter sur le sable.
À force d’écouter leur douloureuse voix
Plus triste que le vent dans les feuilles des bois,
J’ai cessé d’écouter la vôtre, ô bien aimée ;
Et, sous le clair de lune endormie et pâmée,
Cette mer m’a paru si belle, que mes yeux
Égarés dans l’espace et perdus dans les cieux
Ne se sont plus tournés vers vos yeux tout en larmes.
Dites, quelle magie a d’assez puissants charmes
Pour glacer notre cœur et pour le dessécher ?