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Robert Lozé

étranger. Il lui semblait que des années s’étaient écoulées depuis qu’il avait pris place devant ce bureau, tant la transformation qui s’était opérée en lui était profonde et complète.

Un sentiment de solitude et de tristesse pesait sur lui. Son cœur était loin. Mais, se dit-il, ces rêveries sont malsaines, chassons-les. Malgré sa fatigue, il se mit à écrire à sa mère d’abord, puis à Irène. Et ce fut sa première lettre d’amour, de cet amour qui s’abandonne aux confidences, dit tout ce qu’il fait et tout ce qu’il pense. Robert, en écrivant, constatait avec joie que dans ses actions comme dans ses intentions, il n’y avait rien maintenant dont il eût à rougir et qu’il eût désiré cacher. Sa plume courait librement comme sa pensée.

« Chère amie, lorsque je vous disais que j’étais indigne de vous, je me rendais vaguement compte que je disais vrai, mais je n’avais pas encore fait mon examen de conscience et je sentais la chose bien plus que je ne la raisonnais.

L’amour et le malheur m’ont apporté la lumière. J’étais indigne de vous et de toute femme bonne et sincère, parce que je n’avais pas compris mon devoir d’homme et que je suivais une mauvaise route. Dans la voie nouvelle où j’entre aujourd’hui, je me réhabiliterai par le travail et le courage, si j’ai, comme je l’espère, la force d’y persévérer. Pour cela, j’essaie tout d’abord de bien comprendre mes devoirs. L’avocat, s’il a une raison d’être, doit faire plus qu’obéir à la lettre des lois. Il doit avoir une mission, il doit être un guérisseur. Pas plus que le prêtre ou le médecin, il ne lui est permis de prêter son ministère aux abus sociaux. C’est, ou du moins ce devrait être, jusqu’à un certain point, une profession de sacrifice que la sienne puisqu’elle conduit à la plus haute fonction de la vie civile : la magistrature. Elle demande donc une vocation spéciale. C’est ce que beaucoup de ceux qui s’y jettent ne soupçonnent pas. Ils en font un métier,