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ROBERT LOZÉ

gaze, le voyageur peut contempler la large nappe d’eau que forme le fleuve élargi pour recevoir les rivières Saint-Charles et Montmorency et embrasser dans ses bras immenses l’île d’Orléans. À ses pieds, les flèches de Sainte-Pétronille et de Saint-Laurent percent la verdure épaisse de l’île. Plus loin, sur la rive nord, une tache gigantesque marque l’endroit où le Montmorency précipite ses ondes laiteuses dans un abîme insondable ; puis vient la côte historique de Beaupré, puis enfin la Byzance américaine, reine superbe dominant toutes ces grandeurs.

Ce spectacle vaut à lui seul le voyage. Il se déroule avec des effets de cinématographe uniques et charmants.

Robert connait cet endroit et reste attentif à la fenêtre. Mais, cette fois, tout lui paraît étrangement confus et obscurci. La cause ? Évidemment l’allure extraordinairement rapide du train. Jusqu’ici il ne l’avait pas remarqué. Engagé maintenant sur la courbe, le convoi s’avance par bonds et par soubresauts. Le char chancelle sur son centre de gravité. Le danger est évident. Avec un cri d’effroi, la jeune femme en avant de lui se cramponne à la banquette. Robert étend la main et tire avec force le cordon qui communique avec la locomotive.

Trop tard. Sous une secousse plus violente, le wagon bascule et retombe à côté des rails. Un instant il cahote sur les solives de la voie, un instant il devient une chose aérienne que la force centrifuge suspend entre ciel et terre. Puis les chars d’en avant déraillent à leur tour, les puissants couplages se rompent en gémissant, et la lourde masse, avec un fracas infernal, roule dans l’abîme.

Tout cela avait duré deux minutes à peine. Robert, instinctivement, avait imité la jeune femme. Il s’était cramponné à la banquette et s’y était maintenu pendant que le wagon tombait en tournant sur lui-même. L’immobilité succédant à une dernière et épouvantable secousse, il