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ROBERT LOZÉ

Robert prenait part à la conversation, qui se poursuivait toujours sur ce même ton de badinage. Mais les questions locales l’intéressant peu, il essaya de faire parler ses compagnons sur les sujets politiques et sociaux, en leur faisant part de quelques-unes des observations échappée la veille à Jean. Mais, hélas ! il eût parlé grec qu’on l’aurait aussi bien compris. On pouvait s’enrichir sans tant de science. Gabriel Coutu était là, preuve vivante de cette vérité. Robert, songeant avec tristesse que quelques mois auparavant, il n’était guère plus avancé qu’eux, et jugeant avec raison que cette médecine ne doit s’absorber d’abord que par petites doses, il n’insista pas. Grâce à son tact et à sa bonne humeur, il produisit une excellente impression, et lorsque aux approches de Lauzon, il quitta les fumeurs, il laissa des amis où il n’aurait trouvé, sans cette démarche, que des gens mal disposés.

Le char-salon était aussi calme que le fumoir était bruyant. On n’y voyait de voyageurs qu’une jeune dame et son mari. L’inévitable domestique nègre arpentait la ruelle en mirant sa face noire dans toutes les glaces.

Robert regarda par la fenêtre. Le convoi s’engageait maintenant sur la longue courbe de l’embranchement Saint-Charles, justement célèbre parmi les voyageurs. On a cheminé assez longtemps dans un pays plat et à peu près inculte. Tout à coup, l’œil fatigué par la teinte uniforme et par la tristesse désolante des sapins bas, des broussailles et des marécages, est ébloui et charmé par une échappée de bleu. On a gagné les hauteurs de Lévis.

À cet endroit s’élèvent de hautes palissades en planches qui, en hiver, protègent la voie ferrée contre les amoncellement de la neige poussée par le vent du nord. Mais elles sont construites de manière à ne pas cacher le paysage. Par des interstices régulières ménagées à dessin, et qui par suite du mouvement du train donnent l’illusion d’un rideau de