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ROBERT LOZÉ

Par un dernier reste de fausse honte, il avait voulu, pendant le voyage, s’éloigner des gens qui auraient pu lui parler de sa lutte et de sa défaite. Sachant que plusieurs hommes politiques et même son adversaire heureux faisaient le voyage en même temps que lui, il s’était installé dans le char-salon qui est le dernier du convoi, et où il devait se trouver presque seul.

Il se leva sous l’empire de ses résolutions nouvelles pour faire une démarche qui exigeait de sa part aplomb.

Pénétrant dans un char-fumoir, où les politiciens dont nous avons parlé formaient un groupe bruyant, au-dessus duquel planait l’âcre nuage sorti des pipes, le jeune homme aborda aussitôt son adversaire.

— Agréer mes félicitations, monsieur le député, dit-il avec un sourire.

Le père Coutu, villageois madré, qui, à force de prêter à la petite semaine, était devenu une manière de banquier rural, n’était rien moins que généreux et désintéressé. Il entendait bien tirer de son succès, qui était à ses yeux une spéculation hasardeuse qui avait bien tourné, tous les avantages possibles. Cette démarche, dont il n’eût certainement jamais lui-même conçu l’idée et dont il était peu capable de comprendre le motif, lui causa cependant une surprise agréable. Il répondit donc d’un air amical et en s’écartant pour donner à Robert la place de s’asseoir.

— Vous n’avez pas eu de chance, monsieur Lozé. Mais savez-vous, ajoute-t-il en s’adressant aux autres et comme en manière de compliment à son adversaire, savez-vous que, pour un jeune, il m’a donné du fil à retordre. Si le docteur s’en était mêlé, j’était fichu.

— Il se reprendra, mon vieux, si tu ne nous fais pas bâtir un quai, fit un gros cultivateur assis dans un coin.

Ce fut un éclat de rire général. Chacun se mit à gouailler le père Coutu et à lui rappeler ses innombrables promesses électorales.