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ROBERT LOZÉ

passera en d’autres mains et nos descendants deviendront des déshérités, des parias, des sans-patrie dans ce Canada que nos pères ont découvert et fondé. C’est la nature qui le veut ainsi, le fort domine le faible, l’instruit commande à l’ignorant, l’audacieux écrase le timide. C’est pour cela que je dis de ces enfants que ce sont de futurs industriels. Voudrais-tu, mon cher Pierre, en faire des journaliers ?

— Ce que tu dis là est vrai, dit Robert. Et j’arrive aux mêmes conclusions par un chemin bien différent. Si Jean a pu apprécier la réforme dont il parle, j’ai pu, moi, sonder toute leur profondeur, les funestes conséquences du système contraire. Dans nos campagnes les échos du grand mouvement moderne sont peu écoutés, mais il faut prêter l’oreille, lire, réfléchir.

J’accepte comme vous tous l’invitation de Jean et d’Alice, mais pour un peu plus tard. En ce moment, j’ai trop à faire ; des bévues, une défaite à réparer. Aussi je pars dès ce soir pour Montréal. Mais mon absence ne sera plus ni longue ni silencieuse. J’ai des aimants qui ne me permettront pas de longues absences, ajouta-t-il en souriant à sa mère et à sa fiancée. Maintenant, Irène, si vous voulez, j’irai prendre congé de votre père, pourvu qu’il consente à me recevoir après ma déconfiture.

— Oh ! ne craignez rien, il sera bien aise de vous voir.

Le docteur de Gorgendière sembla oublier la brusquerie de ses premiers rapports avec Robert. Il fut doux, presque encourageant. Il parla pourtant de l’élection perdue d’un ton un peu narquois qui fit rougir Irène. Elle se rapprocha de Robert comme pour témoigner qu’elle n’entendait pas qu’on le fit souffrir davantage.

— Ce diable d’homme, pensa Robert. On dirait vraiment qu’il se réjouit de ma défaite.

Le jeune homme en ce moment commença à entrevoir vaguement la vérité.