Quoi ! ce beau jeune homme portant au front la triple auréole de l’autorité, de la prospérité et du bonheur, cet homme distingué, compagnon de cette femme charmante, gracieuse comme madame de Tilly, mais plus jeune, plus douce, plus belle, cet homme, c’était Jean ! Jean l’ouvrier, Jean le manœuvre, qu’il avait dédaigné, oublié !
Comment en croire ses yeux et ses oreilles ? Pourquoi n’en avait-il rien su ? Robert, abasourdi, croyait rêver. Sans le savoir, il s’était porté en avant du groupe de ses parents. Le nouvel arrivé regardait maintenant avec surprise cet homme hagard qui le dévorait des yeux.
Et certes, si, comme l’a dit un penseur, l’œil touche et participe aux mouvements de l’âme, exprime ses passions les plus vives, ses émotions les plus tumultueuses, pour les rendre dans toute leur force et dans toute leur portée, telles qu’elles viennent de naître, chacun de ces frères avait lieu d’être surpris de ce qu’il lisait dans l’œil de son frère.
Ainsi inopinément mis en présence chacun de ces deux rejetons d’une même souche portait, sur sa figure l’empreinte de sa vie.
D’un côté, l’homme grandi et anobli par le travail et l’effort, couronné par le succès.
De l’autre… Ah ! N’insultons pas au malheur de ce pauvre Robert. Faible et coupable, oui, certes, il l’était. Personne ne doit échapper à ses responsabilités. Avant d’écouter la pitié, laissons parler la justice.
Mais surtout n’oublions pas que devant le tribunal de l’avenir, Robert ne comparaîtra pas seul. Nous serons jugés à ses côtés. Lorsqu’on y accusera tant de générations de jeunes gens, l’élite de nos intelligences, d’avoir failli à leur devoir, lorsqu’on leur reprochera d’avoir dissipé leur riche héritage, d’être devenus moralement et matériellement des déshérités du sort : On nous a vaincu par la trahison, répondront-ils. Enfermés dans une enceinte n’offrant qu’une