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ROBERT LOZÉ

« Je les tiendrai d’autant plus facilement que cette fois c’est le cœur qui les dicte.

« Qu’allez-vous penser de moi après avoir lu la fin de cette lettre ? J’ai essayé de me juger moi-même sans pouvoir y parvenir. Vous avez toujours eu la charité de vous taire devant moi sur certaines choses qui touchaient à mon triste métier. Vous compreniez sans doute que je commençais moi-même à les voir sous leur véritable jour et que la nécessité seule m’y enchaînait. Vous vous étonnerez donc que situé comme je le suis, je songe sérieusement à un établissement. C’est que je suis convaincu qu’avec les appuis que j’espère trouver, je pourrai sortir de mon bourbier.

« Or, mademoiselle Irène de Gorgendière est beaucoup trop belle et trop bonne pour moi ; mais elle me fait l’honneur de m’estimer. Elle aura quelque fortune. Son père est en position de choisir un candidat au siège qu’il occupait au parlement qui vient d’être dissout. Je vous en prie, ne me prenez pas pour un mercenaire. Je n’aurais peut-être pas cédé au penchant réel que j’éprouve, pour faire partager à une jeune fille une vie d’expédients. J’ai cru en ceci pouvoir concilier deux choses qu’on trouve rarement réunies : l’affection et l’intérêt… »

On le voit, Robert lui-même se jugeait sévèrement. Et il avait raison. Il n’était pas encore vraiment un homme (vir) puisqu’il n’osait compter sur ses propres efforts et qu’il cherchait à se tirer d’affaire en s’appuyant sur d’autres. Il était en voie de guérison, mais il n’était pas guéri. Du reste, il aimait vraiment Irène, autant qu’il lui était possible d’aimer quelqu’un à cette époque, et il eût renoncé à tout plutôt que de la rendre malheureuse. C’était surtout le caractère, qui chez lui, manquait d’énergie et de trempe.

Le lendemain matin, Robert avertit sa mère de la démarche qu’il allait faire. Elle en fut bien aise et l’approuva chaleureusement. C’était la réalisation d’une de ses plus chères espérances.