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ROBERT LOZÉ

il n’est plus jeune. Sa clientèle l’absorbe. La vie d’un médecin de campagne est bien fatigante. Puis, voici cette détestable élection qui approche. Il se croira obligé de se fatiguer davantage, et je sais bien, moi, que cela l’épuisera.

— Pourquoi alors ne pas y renoncer ?

— Ses amis comptent sur lui. J’ai quelquefois cru aussi qu’il se figurait que, pour moi, son titre de député…

Irène s’interrompit tout à coup ne voulant pas dire sa pensée, que Robert comprit néanmoins.

En cet instant une idée qu’il s’avouait à peine à lui-même, prit les proportions d’un projet. Il s’était déjà dit que la vie passée aux côtés d’Irène ne serait pas malheureuse. Il ne s’était pas arrêté à cette pensée. Mais s’il était vrai que le père d’Irène voulait se retirer et que seul le souci de l’avenir de son enfant le retenait dans la vie publique, alors… alors il restait un moyen facile de tout concilier. Ainsi, rapidement, raisonna le jeune homme. Il crut voir une brèche dans l’inexorable mur qui lui fermait la route du succès. La tentation fut pour lui irrésistible. Ébloui et troublé, il y céda.

— Chère mademoiselle Irène, répondit-il à la jeune fille, nous avons tous nos soucis, et je regrette d’apprendre que vous n’y échappez pas, vous qui cependant paraissez si heureuse et qui êtes si digne de l’être.

— Vous croyez donc qu’une jeune fille vit sans inquiétudes ? C’est peu nous connaître. Pour moi, je crois bien que nous en avons plus que les jeunes gens. Libre au jeune homme de façonner sa vie comme il lui plait. Son avenir dépend de ses propres efforts. Tandis que nous… Oh ! que je voudrais n’être pas femme !

— Seriez-vous ambitieuse ! L’ambition est le pire des tourments. Croyez bien que celui-là ne m’a pas été épargné. Vous ne soupçonnez pas, Irène, les amertumes qui attendent le jeune homme dont les aspirations sont plus hautes que ses moyens pour les atteindre.