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Robert Lozé

— Non, mademoiselle Irène. C’est Jean qui me l’envoie. Mais Robert m’annonce qu’il sera ici dans quelques jours. Vous pensez si cela me fait plaisir. Depuis six ans que je ne l’ai pas vu.

— Ah ! Tant mieux. Bien sûr personne ne le reconnaîtra.

Après quelques instants de causerie, Irène remonta en voiture et s’éloigna rapidement dans la direction du village. Elle s’arrêta dans la cour de la maison de son père et mit elle-même le cheval à l’écurie. Le père d’Irène était médecin. Le cheval d’un médecin de campagne n’est pas une bête de somme ordinaire, c’est un ami. Il connait les maisons des patients aussi bien que son maître et ne cède le pas qu’au cheval du curé. Toujours frais et dispos, il ne sort qu’au beau temps. Pour les courses lointaines et dans les mauvais chemins le patient envoie sa propre voiture au médecin.

Irène était la fille du docteur de Gorgendière qui, à sa qualité de médecin de la paroisse, ajoutait présentement celle de député du comté. Excellent homme, universellement respecté, on disait que malgré ses nombreuses libéralités, il n’était pas trop mal partagé au point de vue de la fortune. Cela n’était pas impossible, car depuis dix ans qu’il était veuf, il vivait modestement, ne s’occupant, en dehors de sa pratique de médecin et de ses devoirs politiques, qu’à élever sa fille unique, aujourd’hui âgée de dix-huit ans. Il n’avait jamais recherché les honneurs, mais il n’avait pas cru devoir refuser ce qu’on lui offrait avec insistance et sans distinction de parti.

Le médecin était le dernier rejeton d’une ancienne famille seigneuriale, depuis longtemps ruinée. Il avait racheté les ruines de l’ancien manoir et s’y était établi, après l’avoir en partie reconstruit.

Cette demeure était située sur une hauteur qui domine le