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CHAPITRE X

Irène


Assise près de la fenêtre ouverte, madame Lozé jouissait du printemps.

Elle avait soixante ans. Le temps avait laissé son empreinte sur ses cheveux qui étaient de neige sous sa coiffure blanche. Mais son visage doux et calme, ses yeux qu’éclairait un sourire n’avaient rien de l’hiver. Assise toute droite dans son fauteuil de bois, sereine et observatrice, elle était à cet apogée de la vie dont jouissent ceux que ses labeurs et ses souffrances n’ont pu briser. La philosophie née d’une longue expérience leur donne l’indulgence et la sagesse qui commandent le respect et remplissent de charmes les années du déclin.

C’était une radieuse journée. Au loin on voyait le fleuve roulant ses derniers glaçons qui fondaient au soleil. Dans les jachères riveraines où lentement les laboureurs traçaient leurs longs sillons, des buées chaudes montaient du sol déchiré par la charrue. Déjà l’herbe avait verdi les prés et les bourgeons commençaient à épaissir les bois. Près d’elle, sous les cerisiers encore nus, ses petits-enfants dansaient une joyeuse ronde, et la grand’mère de son pied battait la mesure de leur chansonnette :

Où s’en vont les fleurs des champs
À l’approche des autans ?
Sous la neige abandonnées
Dorment corolles fanées.
Pour renaître illuminées
Des doux rayons du printemps.

Où vont les petits oiseaux
Quand l’hiver glace les eaux ?
Ils…