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Robert Lozé

qu’il avait recueillis dans la journée, les compara avec d’autres échantillons soigneusement classifiés et étiquetés, résultats des expéditions précédentes, et se mit à noter par écrit ses observations, et à penser.

Ce domaine qu’il avait conquis par le travail, il entendait l’exploiter par la science et connaître de ses ressources non pas seulement celles qui étaient visibles, mais aussi celles que la nature cache à nos yeux.

« Il est possible, pensa-t-il, en manipulant ses échantillons, que les terrains qui m’entourent ne soient pas très riches en gisements d’une importance commerciale. Du reste, ce n’est pas cette considération qui m’a porté à les acquérir ; j’ai choisi le site pour les bois qui l’entourent, mais surtout pour sa position. Les conquêtes pacifiques ont leur stratégie bien autrement profonde que celles de la force brutale.

« Cet endroit deviendra sous ma main une ruche. Les abeilles butineront sous mes yeux, mais aussi et surtout au loin dans les pays miniers qui m’entourent de toutes parts. Le Québec méridional, le Nouveau-Brunswick sont aujourd’hui les tributaires de la Nouvelle-Angleterre. Je saurai détourner ce tribut. Leurs richesses tomberont dans mes creusets et dans mes hauts-fourneaux. Je les accroîtrai au centuple, je les distribuerai dans l’univers ; et le port vaste et vide qu’on aperçoit de ces sommets s’animera bientôt sous la puissance créatrice de l’industrie.

« Quelle apathie étonnante que celle des hommes de ce pays ! Si je n’étais pas des leurs, je ferais peut-être comme d’autres qui les accusent de manquer de sens pratique. Mais non. Chez eux, c’est le fond qui manque le moins. Nous sommes un peuple puissant, un peuple créateur, nous possédons le génie artistique, l’amour de l’idéal. Fausse orientation, voilà la cause véritable de notre apparente impuissance. Nous ne regardons pas assez haut et notre effort porte du