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Robert Lozé

L’établissement n’avait pas encore reçu son baptême de feu. Tout était neuf et vierge de fumée. Murs et cheminées en briques ronges du corps de bâtisses, barrages et écluses coupant le cours du torrent, rangées de maisons proprettes encore inhabitées, tout cela manquait de teinte locale, et choquait l’œil dans ce ravin partout ailleurs verdoyant, ou au grondement de la cascade devait bientôt se marier le chant cadencé des machines.

Sur une hauteur voisine d’où l’œil pouvait embrasser l’établissement tout entier, on avait construit la demeure du directeur des travaux.

Par une claire soirée de la mi-avril, deux hommes, fusil sur l’épaule et sac au dos, gravissaient le sentier encore mal tracé conduisant à cette maison. Leurs bottes et leurs vêtements souillés des boues du printemps, le hâle qui paraissait sur leurs visages auraient indiqué une journée passée en forêt, même sans les dépouilles opimes qu’ils rapportaient, savoir, un ourson de deux mois, ainsi que la peau de sa mère, roulée et pendue à une longue gaule dont chaque chasseur tenait une extrémité.

Arrivé au sommet, le premier de ces hommes, qui était Jean Lozé, s’arrêta pour jeter un coup d’œil sur l’établissement qui s’étendait silencieux à ses pieds, sous les rayons du soleil couchant. Ce lieu allait bientôt s’animer sous l’impulsion de sa volonté. Aussi était-il expressif ce regard du maître et du fondateur. Se tournant vers son compagnon, il sourit en le voyant en dispute active avec l’ourson indocile au bout de sa courroie.

— Bertrand, dit-il, allez installer votre élève et demandez à Louise de nous donner à souper.

C’étaient, en effet, nos anciennes connaissances Louise et Bertrand qui étaient devenus les premiers occupants de l’établissement nouveau. Recommandés par les amis de madame de Tilly, ils avaient obtenu de l’emploi dans l’usine