dien, lequel aurait dû leur interdire le passage, ils se dirigent, la main dans la main, vers l’entrée du pont. Les yeux baissés pour ne pas poser les pieds entre les solives, ils vont lentement et sans parler.
Près de l’arche sombre les jeunes gens se sont arrêtés et restent immobiles, groupe gracieux se détachant sur le fond noir de cet encadrement. Sauf le grondement lointain du rapide, tous les bruits se sont tus.
Brusquement, la scène change. Quelque chose bondit dans l’ombre de l’arcade. La jeune fille pousse un cri suffoqué : Oh ! Bertrand ! en voyant une face sinistre se dresser derrière son ami et deux mains l’empoigner. Ce dernier étouffe sous la pression de doigts frénétiques qui lui entrent dans la gorge. Il s’affaisse. C’est le moment où, en de tels assauts, l’agresseur lâche le cou de sa victime pour lui saisir les bras et lui mettre un genou sur la poitrine. L’ouvrier tombe, reprend son souffle, puis, aussi prompt que la pensée, se délivre du bandit. Il l’enlace et l’étreint à son tour dans ses bras aux muscles trempés comme l’acier qu’il manie d’habitude, se relève en chancelant sous ce corps qui encore faiblement résiste, se redresse enfin comme un ressort, et d’un effort des reins bien connu des lutteurs, le lance pardessus son épaule.
Le malheureux fut projeté du viaduc dans l’eau rapide du fleuve.
Ce drame s’était accompli en un instant et sans que les deux hommes proférassent un son. Glacée par la peur, la jeune fille avait à peine bougé. L’ouvrier, malgré l’intensité de l’effort, était resté calme ; il en est souvent ainsi des hommes courageux au sortir du danger.
— Viens, Louise, dit-il, allons repêcher cette canaille. Il faut espérer qu’il n’est pas mort.