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Robert Lozé

Cette frontière suit une ligne de hauteurs en général assez vaguement tracée. Du côté des États-Unis la pente est souvent insensible ; elle se prolonge en vastes plateaux boisés. Les déclives moins douces du versant canadien présentent, vues du fleuve, l’illusion de montagnes. On y trouve par endroits de beaux pouvoirs hydrauliques — la houille blanche, suivant une expression poétique tout récemment trouvée — qu’utilisera un jour l’industrie. Dans le moment, la population y est rare et la forêt, privée de ses arbres de haute futaie devenus la proie du commerçant, y règne cependant encore.

La manière d’agir des autorités rappelle un peu ici celle de ces agriculteurs qui s’avisent de poser des épouvantails après que les oiseaux ont dévoré la récolte. On a donné à quelques-uns des cantons-frontières de ce pays montueux des noms qui semblent autant de sentinelles. Ce sont Chénier, Léry, Duquesne, Talon, Vaudreuil, surtout Rolette, nom qui rappelle un fameux marin, héros de la guerre de 1812, Ce fut Rolette, nous dit de Boucherville, dans ses mémoires, qui rentra un jour dans le hâvre de Kingston avec toutes les musiques du corps du général Hull, prises d’un seul coup de filet. Les fanfares républicaines exécutèrent ce jour-là le « Rule Britannia. »

Mais que nos amis des États-Unis ne nous en veulent pas. Ce n’était là que du son. Leur revanche a été plus substantielle et plus tangible.

Dans une partie particulièrement favorable de cette région, Jean Lozé avait établi sa nouvelle usine. La proximité relative d’une nouvelle voie ferrée, mais surtout la promulgation récente d’une loi canadienne prohibant l’exportation du bois, sauf à l’état fabriqué, avait permis et hâté la réalisation de ce projet depuis longtemps médité. La société d’exploitation, nous le savons, avait déjà acquis de vastes réserves forestières et de beaux pouvoirs hydrauliques.