Page:Bouchette - Robert Lozé, 1903.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.
45
Robert Lozé

— Depuis quelque temps je vous observe. Vous êtes fatigué et énervé. Il vous faut du repos, la campagne. Allez embrasser votre mère, cette excellente mère dont vous m’avez parlé. C’est même très mal d’avoir paru la négliger si longtemps. Allons, promettez-moi cela. Vous verrez que mon conseil vous portera bonheur.

Elle tendit sa main au jeune homme qui la porta à ses lèvres.

— Bien, dit-elle, maintenant allons rejoindre madame H…, qui nous attend pour souper.

La calme douceur de madame de Tilly eût sur Robert l’effet voulu. Il se promit bien de chérir à jamais l’amour sans espoir qui lui était échu. Mais, bien qu’il se plût encore, par un secret sentiment d’amour-propre, à se figurer la chose ainsi, madame de Tilly avait eu raison de dire qu’elle le connaissait mieux que lui-même se connaissait. Non, son sentiment pour elle n’était pas le feu d’une grande passion. C’était un alliage où il entrait cependant de l’or, puisque les choses qu’il aimait en Adèle étaient de celles qui grandissent les âmes capables de les apprécier.

Il put donc réfléchir pendant le voyage de retour qui marquait la fin de son rêve, à ce que madame de Tilly lui avait dit, et il s’aperçut que le conseil qu’elle lui avait donné était l’écho de ce qui se passait dans sa conscience et dans son cœur. Se sentant meilleur, il éprouvait le besoin de se rapprocher des siens, de son pays, de sa mère. Qui sait, pensa-t-il, peut-être trouverai-je le moyen d’échapper à la fatalité qui me tient. Il écrivit donc à sa mère, lui annonçant son prochain départ, régla ses affaires les plus pressantes, dit adieu à son amie devenue si bonne conseillère, et se dirigea, après six ans d’absence, vers son village natal.