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Robert Lozé

petits groupements comme celui que nous parlons. Un tel milieu pouvait distraire l’ennui d’une femme jeune encore et intellectuelle, en qui la passion et le chagrin avaient laissé leur trace profonde et qui devait porter sur son cœur les rides qui ne paraissaient pas sur son visage.

Mais de là au bonheur ou même au contentement, il y a un abîme.

Nous vivons dans le siècle de l’émancipation de la femme. Celle-ci se croit plus heureuse par suite de son affranchissement de certaines des infériorités légales et sociales dont elle souffrait. Il n’en sera vraiment ainsi cependant que si la femme sait rester femme dans la nouvelle condition qui lui est faite, et la mégère qui a déclaré la guerre à l’autre sexe, la mondaine blasée dont le temps est le plus redoutable ennemi, sont presque aussi malheureuses que la pauvresse qui se courbe docilement sous la tyrannie d’un mari brutal. Nous aurons beau faire, la femme vraiment heureuse sera toujours la mère. Elle seule aura dans la vie un but bien défini. Sans cette auréole de la maternité, ou à son défaut, quelque chose de plus grand encore qui est le sentiment maternel s’étendant à tous les infortunés, une femme est une souveraine détrônée. Qui pousse le berceau régit le monde. C’est la nature qui le veut ainsi. Dans notre pays, heureusement, les abdications sont rares. C’est pour cela qu’un jour nous serons forts par nos femmes.

À ce point de vue, Adèle de Tilly n’était donc pas vraiment heureuse. Elle avait le sentiment de sa vie manquée, dont elle ne méditait pas d’ailleurs les causes ; cherchant à se distraire pour échapper à l’ennui, mais ne tombant pas dans le désordre, parce que même parmi les âmes égarées, il en est de délicates qui ont horreur des souillures.

C’était le besoin de mouvement et de distraction qui l’avait conduite au bureau de Robert Lozé. En lisant cet imprimé assez insolent lui réclamant une faible somme d’argent