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CHAPITRE IV

En dérive.


Socialement, Adèle de Tilly n’était pas tout à fait orthodoxe.

Mariée à dix-huit ans à un cadet de famille, officier dans l’armée anglaise, elle avait suivi son mari en Angleterre. Quelque temps elle fut une étoile de la société la plus aristocratique de l’Europe. Mais son mari, livré au jeu et à la débauche, mécontenta sa famille dont il dépendait pour ses ressources. Il dut alors renoncer à l’armée, et tombant de plus en plus bas, il en vint à maltraiter sa jeune femme qui refusait de se ruiner pour payer ses dérèglements. Celle-ci, mal conseillée, eut recours au divorce. Procès retentissant qui lui valut une fâcheuse notoriété, bien qu’elle n’eût pas de torts bien graves.

On sait que la reine Victoria ne tolérait pas les femmes divorcées. La société faisait alors de même, regis ad exemplar. N’étant pas de force à remonter le courant, madame de Tilly revint au Canada. Mais elle s’aperçut bientôt que quelque chose de l’ostracisme qu’elle fuyait l’avait poursuivie jusqu’en son pays. On ne la repoussa pas absolument, mais on l’accueillit froidement et elle ne voulut pas continuer des relations où les avances étaient toutes de son côté.

C’était une femme aimable, belle encore à quarante ans, ni dévote ni esprit fort, au fond bonne en dépit des circonstances. Ressource précieuse pour une personne ainsi placée, elle aimait les arts et connaissait la musique en artiste. Elle était artiste aussi dans sa toilette et dans l’aménagement de