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Robert Lozé

ressés. » N’ont-ils pas mille fois raison ? Convenons franchement de notre coupable apathie, alors que notre devoir serait de mettre tout en œuvre pour faire cesser un tel abus.

Jusqu’à ce que nous comprenions cela, jusqu’à ce que le public se tourne en masse vers les carrières productives de la richesse matérielle, qui est le ressort des peuples, la grande route du progrès restera déserte, et nous verrons toujours la triste procession d’ilotes en habit noir encombrant un étroit sentier, le spectacle puéril d’augustes aréopages préparant ex-professo des guet-apens à l’aspirant qui voudrait, comme le médecin de Molière, partager leur privilège de tailler, couper et occire impune per terram.

Qu’on nous pardonne ces considérations un peu longues. Il était nécessaire de faire connaître l’état d’âme de Lozé avant le jour où nous l’avons rencontré et qui fera époque dans sa vie. La dame que Louise avait vue dans son bureau devait, en effet, y apporter un élément nouveau et important.

Sans amis et sans argent, le jeune homme, au début de sa carrière, avait eu à choisir entre le sacrifice qui exalte et le succès qui avilit. Il faut plus que du courage et un esprit d’élite, il faut surtout une vocation inébranlable pour s’ensevelir en pleine jeunesse dans le travail opiniâtre et sérieux, l’horizon comme mûré et sans issue visible. Les privations physiques sont supportables dans la jeunesse. Le mépris des confrères, les humiliations le sont moins. Ces épreuves victorieusement subies révèlent l’or pur des caractères. Car, comme on l’a souvent dit avec vérité, quelque encombrée que puisse être une profession, il y a toujours place aux degrés supérieurs. C’est aux rangs inférieurs que la congestion se fait sentir, puisque le très grand nombre choisit le succès immédiat et apparent. Relativement, les débuts peuvent être moins pénibles pour qui d’une science faite pour soulager les hommes ou pour