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Robert Lozé

Le surlendemain eut lieu le mariage, dans la jolie petite église que Jean avait fait construire au centre du village. L’assistance était nombreuse, car le travail était suspendu, ce jour-là et le patron et sa famille jouissaient parmi les ouvriers d’une popularité véritable.

Nous n’entreprendrons pas de décrire la scène. Ce fut un moment de bonheur pour tous. Mais quelle profonde émotion dut éprouver Jean ! Auteur et dispensateur de toute cette joie, il voyait son œuvre accomplie, son frère racheté, sa mère consolée… C’était pour lui, il le comprenait, une apothéose. L’allocution du curé produisit sur ses auditeurs une impression considérable.

« Les circonstances de cette cérémonie, dit-il, sont de nature à nous inspirer des réflexions sérieuses et consolantes. Nous pouvons aussi, ce me semble, en tirer d’utiles enseignements.

« Le site où nous nous trouvons à cette heure était, il y a deux ans à peine, un lieu solitaire et sauvage. Aujourd’hui des hommes nombreux y sont réunis, dans la paix et l’harmonie, pour accomplir en commun le précepte divin qui nous enjoint le travail. Ces hommes sont des chrétiens et ils ont dressé, tout à côté de leur usine, l’autel du Dieu vivant.

« Or, si nous promenons le regard de la pensée sur la vaste contrée qui est notre héritage, que voyons-nous ? Des espaces immenses, déserts comme l’était celui-ci. Ils attendent encore la hache du défricheur, le génie de l’industriel, instruments visibles de la bénédiction divine qui ne manque jamais de s’épandre sur les hommes de bonne volonté. Ils attendent, essaims que nous leur enverrons, les jeunes gens pleins de vigueur et de courage, remplis de foi en Dieu et en eux-mêmes, confiants en l’avenir. Ceux-là devront s’armer pour la lutte, se munir des connaissances qui feront d’eux, non pas de simples défricheurs, vendant