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ROBERT LOZÉ

avant et un peu au sud des Piliers, afin d’intercepter le passage possible de la goélette, tandis que ses chaloupes formeraient une espèce de cordon entre le vaisseau et la côte

On l’a vu, le contrebandier avait flairé le piège et s’était esquivé d’un autre côté.

Le cotre n’en avait pas moins trouvé œuvre utile à faire. Au moment où, avec des précautions infinies, il doublait le grand Pilier, on put constater à bord que quelque chose d’insolite se passait en cet endroit. On entendait le sifflement d’une sirène, un bruit de vapeur s’échappant avec violence par des soupapes, des cris confus. Puis le rideau de brume se soulevant un instant, on vit la lumière du grand Pilier entourée d’un halo comme la lune dans un ciel nuageux. Au pied du phare, sur le rocher même, on entrevoyait vaguement d’autres lumières mobiles, lesquelles se prolongeaient en une ligne vacillante jusque sur la mer, comme si on eût ajouté au récif une longue jetée. La lumière du petit pilier était invisible. Le commandant du cotre ne reconnaissant plus les lieux, et doutant de sa prudence en s’aventurant ainsi, ne comprenait clairement qu’une chose, c’est qu’il se trouvait en présence d’un naufrage. Il donna immédiatement l’ordre de mouiller et détacha une chaloupe pour aller à la découverte.

Voici ce qui s’était passé.

Le capitaine d’un transatlantique appartenant à une des lignes régulières, cédant à une de ces imprudences vraiment inexplicables dont nous avons parlé, avait voulu s’avancer, malgré la brume, et s’était égaré. Comme bien d’autres marins malheureux, il avait suivi fidèlement les indications de la boussole. Mais cet instrument précieux peut être quelquefois trompeur, même dans les parages connus où l’on peut calculer assez exactement la force des courants. Non pas que l’aiguille s’écarte jamais, dans les conditions