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ROBERT LOZÉ

remorquaient péniblement la goélette. Deux autres, sur le vaisseau même, le poussaient avec de longues rames comme celles d’une galère. Tout cela pouvait se voir vaguement dans le brouillard qui oscillait comme une chose tangible au moindre mouvement atmosphérique. Puis, le vaisseau fantôme disparut sans bruit, comme un voleur qui s’esquive.

— Où vont-ils ? demanda Alice.

— Ils gagnent le nord.

— Alors les pauvres gens vont s’échapper ?

— Malheureusement, oui, répondit Jean…, pour répandre partout où ils vont atterrir l’alcool et la démoralisation.

Le yacht passa la nuit à l’ancre. Jean et Robert partagèrent les quarts avec les hommes de l’équipage. Vers le matin, le temps devint plus clair et ils purent continuer leur route.

— Je crois, M. Jean, dit un des marins, qu’il se passe quelque chose aux Piliers.

— Quoi donc ?

— N’avez-vous pas entendu la nuit dernière le sifflement d’une sirène ?

— Je l’ai entendu, et cela m’a surpris, car je ne connais aucun phare aux environs qui en soit muni.

— Vous avez raison. Aussi je crois que c’est quelque navire en détresse,

— Allons alors à la découverte. Peut-être pourrons-nous nous rendre utiles.

On était en ce moment assez rapproché des Piliers. Ce sont deux rochers qui sortent à pic de l’eau, à environ trois milles au large de la paroisse de Saint-Jean-Port-Joli.

Le grand Pilier peut avoir un arpent en superficie. Quelques maigres herbes poussent sur les rochers, deux chèvres y trouvent à peine leur nourriture pendant la belle saison. Dans une crevasse, on trouva autrefois assez de terre pour creuser un tombeau, ainsi qu’en témoigne une inscription très ancienne.