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ROBERT LOZÉ

ensuite dans les broussailles bordant la rivière. J’avais soin de me tenir bien au vent de la fumée qui me guidait, car le moindre mouvement d’inquiétude de la part des chevaux, dont ils devaient être entourés, aurait donné l’éveil aux bandits.

J’arrive enfin à bonne portée de mes deux drôles. Ils sont là, bien visibles dans la clairière où ils ont installé leur camp. L’un, penché sur le feu, prépare le café ; l’autre, couché sur la berge roule une cigarette, à la mode mexicaine. Plus loin dans la plaine et de l’autre côté du ruisseau, toute la troupe de chevaux broute paisiblement. C’est une scène pastorale qui ne rappelle en rien la violence et le crime… à distance et lorsqu’on ne voit pas l’expression sinistre des deux hommes qui sont là.

J’épaule ma carabine.

Ce n’est pas la crainte qui fait battre mon cœur et qui baigne mon front de sueur. Souvent ainsi, à l’affût, j’ai tiré le gros gibier. Toujours la balle a atteint son but. Le coup part, l’animal bondit et s’affaisse dans une petite mare de sang. Mais, mes amis, je n’avais jamais tué un homme. Que Dieu vous épargne une pareille expérience ! En ce moment-là, il me semble que je vais commettre un assassinat. Je voudrais crier à ces deux hommes : défendez-vous ! Mais je ne dois pas le faire. Ces hommes sont d’atroces bandits qui nous ont volé nos chevaux pour nous faire mourir, et achever plus sûrement leur œuvre de pillage et d’homicide quand nous serons trop affaiblis pour nous défendre. Ils sont tellement habiles dans l’art de tuer, que je n’aurais pas même une chance de vie contre eux deux. Et même en les prenant, comme je le fais, par surprise, si je ne tue pas du premier coup, je serai certainement tué. Ma mort entraînera fatalement celle des jeunes étrangers qui se sont confiés à moi.

Tout cela passe dans mon cerveau comme un éclair et me