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robert lozé

sans répondre à Robert et comme se parlant à elle-même. Voilà pourquoi ce pauvre docteur avait si piteux air lorsqu’il est venu nous voir au printemps dernier. Il me semblait singulier qu’il s’occupât tant de ce jeune homme, mais je croyais qu’il ne s’agissait que de politique…

Madame de Tilly supportait ce soliloque avec impatience et cherchait à changer de sujet. Elle se mit à parler avec volubilité des écrits de Robert et de la mention faite dans les journaux de sa lutte pour la réforme scolaire. Elle semblait vouloir le placer dans un jour favorable devant sa cousine, mais surtout faire taire celle-ci.

Robert eut soin de ne laisser voir aucune surprise. Mais en sortant il fit cette réflexion, que certaines choses jusqu’ici inexplicables pour lui dans la conduite du docteur de Gorgendière, lors de la candidature malheureuse du jeune avocat, pouvaient maintenant s’expliquer. Le médecin avait sans doute voulu connaître à fond celui qui avait gagné le cœur de sa fille et qui semblait ambitionner son mandat de législateur. Il avait consulté madame de R…, sans doute aussi madame de Tilly. Quel jugement avait-on porté sur celui qui voulait devenir son gendre ? Pas très favorable, ce jugement. Et Robert reconnaissait qu’il avait mérité d’être sévèrement jugé. Eh ! bien, pensa-t-il, le père d’Irène devra maintenant reconnaître que je fais de mon mieux pour me rendre digne de sa fille.

Enfin au printemps succéda l’été. Aux premiers jours de la vacance des tribunaux, Robert partit pour rejoindre Irène.

Ce fut avec des sentiments bien différents de ceux de l’an passé que le jeune avocat prit cette fois le chemin de son village natal. Plus d’inquiétudes sordides maintenant. Il fermait son bureau pour un congé prolongé, le cœur gai et sans un vestige de cette crainte humiliante d’être supplanté,