Page:Bouchette - Emparons-nous de l'industrie, 1901.djvu/36

Cette page a été validée par deux contributeurs.
36

IX

DIFFICULTÉS PRATIQUES.


Dans un travail comme celui-ci, il est évident que nous ne pouvons plaider que pour le principe. Si le public croit ce principe vrai, s’il croit son application désirable, sa mise on pratique ne sera pas difficile. Cependant, il ne faut pas oublier, comme l’a dit Spuller, que « la vérité, pour les hommes qui veulent agir, c’est le possible. » L’idée que nous venons d’esquisser respecte la limite ainsi posée. Elle présente sans doute des difficultés réelles, mais ces difficultés ne sont pas insurmontables. Et quant à nous nous n’en voyons qu’une qui soit vraiment sérieuse. Convaincre le public de l’urgence de la réforme industrielle avant qu’il soit trop tard pour l’entreprendre, voilà la vraie difficulté.

Si nous pouvions surmonter ce premier obstacle, le reste irait de soi. Malheureusement, l’on ne prend pas de telles choses assez au sérieux. L’on se dit qu’il sera toujours temps de s’en occuper. Certaines gens parlent ainsi par calcul, et se défient de tout ce qui tend à améliorer le sort des masses. Ces gens ne raisonnent pas, mais obéissent à leurs préjugés tout en croyant défendre leurs intérêts. D’autres plus sincères dans leur patriotisme se diront qu’après tout les dangers que nous indiquons sont peut-être imaginaires et que s’ils sont réels et possibles le mal se corrigera de lui-même lorsque l’on en sentira la nécessité.

Mais qu’on y prenne garde. Le danger économique dont il est question dans cette étude n’est pas imaginaire, et, pour ce qui est des Canadiens-français, ce danger est non seulement économique, mais national. Danger national, non à cause de l’hostilité des autres races qui habitent ce continent, mais par suite de la concurrence qu’elles nous font nécessairement dans la lutte pour l’existence.

De tout temps, les Canadiens-français les plus éminents ont fait valoir cet argument lorsqu’il s’est agi de stimuler leurs compatriotes. Quant au danger purement économique, il est basé sur des faits que nous avons sous nos yeux, parce qu’ils existent dans bien des pays industriels et notamment aux États-Unis. Supposons pour un instant, que le Canada soit devenu pays industriel, mais que ses industries soient toutes tombées entre les mains de capitalistes étrangers, ou même, si vous voulez, entre les mains de capitalistes canadiens qui auront commencé l’exploitation sans les sauvegardes nécessaires pour la protection et l’instruction des populations ouvrières. Ces populations seront dès lors nécessairement réduites à l’état de simples manœuvres à la merci de ce capital, qui, naturellement, exercera une influence considérable.