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V

L’EXEMPLE DE L’ALLEMAGNE.


Comment un peuple se rachète de l’infériorité économique.


L’Europe nous offre le spectacle de cinq colosses se disputant l’empire du monde. L’un, antique détenteur de la couronne germanique dont il est maintenant dépossédé, est le moins puissant des cinq. Le colosse slave est redoutable, par l’immense étendue de son territoire et le nombre de ses soldats, mais il sort à peine de la barbarie. Le colosse franc et le colosse anglo-saxon se sont longtemps disputés la prépondérance industrielle, ce dernier depuis un siècle semblant devoir l’emporter, lorsque tout à coup est entré en lice le colosse prussien déjà à cette heure l’égal de ses rivaux, et qui menace de les surpasser et de les ruiner.

L’Allemagne en effet, il y a à peine vingt ans, était un pays presque exclusivement agricole, ses industries peu nombreuses et peu importantes, son capital industriel une quantité négligeable. Aujourd’hui tout cela est changé. L’Allemagne est devenue la première nation industrielle du monde, une terreur constante pour les autres nations, même pour la Grande-Bretagne qui croyait enfin régner sans conteste.

Si nous cherchons la cause de si prodigieux résultats obtenus en si peu de temps, nous la trouverons en ceci que l’Allemagne a « organisé l’industrie » en établissant un système à peu près parfait d’instruction technique et industrielle, en maintenant des centres d’études et d’expériences scientifiques, en aidant les industries naissantes financièrement au moyen de tarifs, de bonus et de subventions.

« L’attention que donne l’État, en Allemagne, à l’instruction, particulièrement à l’instruction scientifique et technique, est chose aujourd’hui universellement admise. Dans certains quartiers l’on croit encore que l’Allemagne se dévoue à une philosophie idéaliste, qu’elle aime les recherches pénibles dans les sentiers abstraits des sciences, qu’elle se plaît à accumuler des faits scientifiques de peu d’utilité même pour ceux qui les recueillent. Il y a des rêveurs partout et l’Allemagne en a sa part ; mais l’instruction scientifique de la masse de son peuple est réelle et loin d’être aride. Elle est avant tout pratique. L’instruction technique qu’on obtient en Allemagne est complète, elle est absolument scientifique, « elle est destinée à être appliquée. » L’application utile plutôt que la culture mentale abstraite, voilà le principal objectif. Il en résulte qu’on n’y produit pas des commis et des gouvernantes, mais des artisans et des ingénieurs supérieurs, des hommes qui connaissent le pourquoi de leur travail et qui le font bien.