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victimes d’un injuste hasard. Encore une fois nous ne les justifions pas, mais nous les plaignons ; et nous croyons que s’ils sont coupables, d’autres le sont bien davantage. La conquête du sol est la plus noble ambition que puisse avoir un peuple, car c’est celle qui conduit à la véritable grandeur, si ce peuple sait profiter de sa conquête. Mais à quoi servirait d’abattre la forêt, de pousser au loin la colonisation, si nous devions perdre à mesure en arrière ce que nous gagnons en avant. Autant de bras inutiles, autant d’esprits inoccupés, autant de dangers pour le pays. L’oisiveté, mère des vices, produit l’atrophie morale et l’appauvrissement économique, de même que l’activité intellectuelle et la richesse publique sont les fruits du travail. Laisser notre jeunesse instruite sans carrière, c’est laisser la nation en danger d’apoplexie.

Or nous souffrons d’un commencement de congestion à la tête, nous en verrons tout à l’heure une preuve que personne ne pourra récuser. Pour dégager la tête et soulager le corps tout entier il faut nous servir des institutions de gouvernement qu’établirent pour nous nos ancêtres, car il n’y a qu’une puissance qui soit suffisante pour cela, c’est l’État. En voici une preuve. Il fut un temps, très peu éloigné, où l’agriculture dans la province de Québec était bien malade. Les choses en étaient au point que les cultivateurs désespérés semblaient vouloir abandonner leurs terres et émigrer en masse. Tout fut tenté pour remédier au mal, et tout échoua. Alors l’État s’émut ; il fit étudier les méthodes d’agriculture modernes, il en instruisit la classe agricole et trouva bientôt le remède au mal. Cette grande réforme est encore présente à tous les esprits, nous en voyons tous les jours les excellents résultats. Mais sous d’autres rapports nous sommes restés stagnants et si nous n’y prenons garde, nous assisterons bientôt à l’émigration des intelligences, car il n’est pas dans la nature humaine de se vouer à l’infériorité de gaieté de cœur.

On parle parfois des dangers d’un appui trop grand de la part du gouvernement, on met les peuples en garde contre ce qu’on appelle en Angleterre « paternalism » qui, dit-on, paralyse l’énergie des individus. Cela peut être vrai dans une certaine mesure, mais il faut tenir compte des circonstances. L’intervention directe du gouvernement de Québec pour mettre fin à la crise agricole était une façon de « paternalism ». Dira-t-on que cela a paralysé l’énergie de nos cultivateurs ? N’est-il pas vrai, au contraire, qu’en leur enseignant l’industrie laitière et tout ce qui en tient, en leur offrant des secours matériels, le gouvernement a centuplé leurs forces en leur ouvrant la voie de la prospérité ? Qu’il en fasse autant pour les autres industries et nous verrons se produire les mêmes résultats. Que notre jeunesse instruite se sente soutenue et encouragée, vous verrez si elle manque d’initiative et de courage. Le jour où nos gouvernants auront fait cela ils auront régénéré le pays. Il est temps qu’ils y songent sérieusement.