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DEUX DE TROUVÉES.

— Mais quand j’aurai travaillé encore trente ans, et donné tout mon argent, je ne serai pas plus avancé que je ne le suis aujourd’hui, après avoir déjà travaillé trente ans ; je serai bien vieux. Si encore dans trente ans je pouvais avoir gagné ma liberté ! C’est bien long trente ans !

— Oui, c’est bien long ; mais si, au lieu de trente ans, il t’en fallait moins, bien moins ; si au lieu de trente, il ne t’en fallait que dix, que huit ?

Pompée regarda son maître d’un air de doute, comme s’il eut pensé qu’il se moquait de lui. Il se fit un mouvement parmi les nègres qui tous, le cou tendu, écoutaient avec avidité.

— Et si, au lieu de huit, il ne fallait que cinq ans, penses-tu, Pompée, que ça vaudrait la peine que tu travaillasses à la gagner ?

Pompée fixa avec étonnement ses yeux sur son maître. Tous les nègres se levèrent et s’approchèrent de la table.

— Oui, Pompée, oui, mes enfants, si vous voulez gagner votre liberté, dans cinq ans vous pouvez tous être libres ! La chose vous surprend ; vous osez à peine le croire ; eh bien, c’est vrai pourtant. Écoutez, je vais tâcher de vous faire comprendre.

Le capitaine ouvrit le grand livre, ou Journal d’émancipation, qui était sur la table, à la page où était écrit le nom de « Pompée. »

— Pompée, tu vois ce gros livre ; dans ce livre ton nom est entré à cette page ; le nom de chacun d’entre vous est entré sur une page séparée. La valeur de chaque nègre est aussi entrée dans ce livre. Dans ce livre, que je vais laisser à l’habitation aux soins de l’économe, on entrera régulièrement tout l’argent